Discussion :
- Y. Egal : Une ville sans code d'urbanisme répondrait à une demande d'immobilier plus rapidement … On dit qu'il
faut densifier la ville, mais on n'a aucun moyen pour le faire.
- V. Renard : D'abord, les marchés ont toujours raison, mais il ne
s'agit pas d'un seul marché mais de plusieurs et ce sont des marchés tous
très régulés. Mais la nouveauté dans plusieurs pays de l'Europe de l'Ouest,
aux Etats-Unis et ailleurs, c'est une demande de ségrégation et cela émerge
très fortement. On a toujours parlé de la ségrégation par le bas et des gens
de bas revenus qui sont chassés à l'extérieur. Aujourd'hui, ce qu'on observe
est une demande de lotissements privés sécurisés, les gated communities,
le truc pour vieux, le truc par catégorie. Il y a d'un coté des politiques
officielles qui sont très largement de l'affichage, mais d'autre part des
politiques, qui sont tout à fait explicites, de certaines municipalités et
là il y a un véritable problème de pouvoir politique et de décentralisation.
L'argument d'un code de l'urbanisme trop lourd ne tient pas la route. Le maire
peut délivrer un permis en une semaine. Par contre, les maires ont de plus
en plus des comportement malthusiens pour une double raison : pour un maire,
construire des logement, c'est mauvais fiscalement et c'est mauvais électoralement,
surtout s'il s'agit de logement social. Il y a donc un double discours très
frappant : le discours officiel des maires et puis la pratique derrière, qui
est un malthusianisme de fait s'abritant derrière un code d'urbanisme devenu
absurde de complexité et de contradiction.
- Y. Egal : Est-ce que ça serait intéressant d'étudier comment ça fonctionne là où le marché règne, par exemple
à Hong Kong ?
- V. Renard : Hong Kong est particulier car c'est de la propriété publique …
- J. Ruegg : Sur votre question : est-ce que moins de régulation publique résoudrait le problème ? La ville de Houston
est un bon exemple. Moins de régulation publique ne veut pas dire moins de régulation, cela veut dire plus de régulation
privée. Le contrat de droit privé est autrement moins flexible que le code d'urbanisme, qui relève du droit public.
- J-J. Helluin : Pour comprendre l'échec des politiques publiques, il faut aussi prendre en compte l'incapacité de l'Etat,
notamment en ce qui concerne des périmètres, par exemple des structures intercommunale, des SCOT. Ils se sont développés
d'une manière complètement incohérente. A Toulouse, il y a trois communautés d'agglomération et une quinzaine de SCOT.
A partir d'un tel dispositif, comment est-il possible d'avoir une politique cohérente ? Ma question concerne votre
graphique volume/prix. On n'est plus dans la même configuration aujourd'hui que dans les années 1990. J'aurai aimé
avoir l'avis de Vincent Renard sur comment cela va évoluer?
- V. Renard : Consultez sur le web Lassalle Investment Management Agency qui conseille, pour 60 pays, les types de produits
dans lesquels il faut investir… On observe une perception de la ville à laquelle on n'aurait jamais accès. Il y a un
sentiment d'exclusion y compris dans la classe moyenne en France qui comprend qu'elle ne peut plus accéder aux zones
de qualité, c'est-à-dire au centre ville et au périurbain de luxe.
- N. Mathieu : Je trouve intéressantes les deux analyses, mais elles ne mènent pas plus loin mon analyse de la campagne
et la ville. On peut faire une même analyse pour les zones urbanisées à faible densité. Par rapport à ces représentations
de la ville, on en est à quel point ? Il faut abandonner les stéréotypes pour faire une véritable analyse des mécanismes
qui sont des enjeux dans tous les espaces.
- V. Renard : Deux points : 1) Ces mécanismes de ségrégation sont profondément démocratiques. Le maire d'une petite
commune de troisième couronne, qui est appropriée progressivement par des cadres supérieurs qui y vivent très bien,
représente la démocratie locale, même lorsqu'il refuse tout nouvel habitant, tout HLM... 2) Sur la financiarisation
de l'espace : lorsqu'une société financière achète par emprunt un espace naturel complètement inconstructible en espérant
pouvoir construire dans 5 ans, 10 ans, 20 ans, elle fait un golf immobilier. Il y a un phénomène d'anticipation avec de
nombreux mécanismes financiers qui sont tout à fait redoutables pour l'appropriation de l'espace. Alors que la France est
un fabuleux capital naturel, il ne faut pas se faire d'illusions. Il n'y a pas un m2 de pays qui ne sera pas soumis
demain à des concurrences pour l'appropriation de l'espace.
- R. Prud'homme :1) Il y a des mécanismes qui chassent les logements
des centres en faveur des bureaux. Ce n'est pas du tout le cas avec Paris
: j'y observe l'explosion du prix des logements et une baisse de 20% du prix
des bureaux. Comment vous expliquez cela ? 2) Vous nous expliquez que la financiarisation
est l'un des phénomènes majeurs, que l'immobilier attire des capitaux par
milliers de milliards et en même temps, vous nous montrez que le taux de rendement
est particulièrement bas. Qui sont ces financiers qui mettent de l'argent
dans des investissements où le taux de rendement est bas ? Finalement, comment
concilier cet afflux d'argent international avec le fait que les prix immobiliers
augmentent ? L'augmentation de l'offre devrait normalement exercer un frein
sur les prix ?
- A. Berque : Je reviens sur ma question, est-ce que les Bobos sont urbaphiles ou urbaphobes ? Ce sont les répercussions
internationales de ces sentiments : les Anglais achètent en France, les Français achètent au Maroc, c'est le même
mécanisme !
- V. Renard : Les marchés sont très cycliques. Lassalle Investment Management fait un guide de cinq ans et il s'en va
quand le rendement baisse. Malheureusement, il existe très peu de travaux empiriques le concernant.
- Ph. Genestier : Petite question concernant le rapport de l'économie
et de l'urbaphilie : peut-on dire que la valorisation des prix immobiliers,
surtout en centre ville, est la traduction d'un climat globalement urbaphile
? Deuxième petite question concernant la transférabilité des droits de construire
: est-ce que la spécificité du droit de l'urbanisme, c'est le non-dédommagement
des servitudes d'urbanisme ? Est-ce que la disparition éventuelle de cette
originalité du droit public français introduirait la régulation par le marché
?
- B. Marchand : Le placement immobilier n'est-il pas intéressant pour se protéger de l'inflation ? Est-ce que la meilleure
manière d'aplatir les prix immobiliers dans une agglomération n'est pas le développement des transports ?
- V. Renard : Le transfert des droits de construire est une fausse
bonne idée. Ce n'est pas un mécanisme de marché. Dans les rares cas où il
a connu un début de fonctionnement, il y avait un despote éclairé avec une
commission ad hoc dotée de gros moyens financiers. C'est utilisé d'une façon
complètement biaisée comme un mécanisme d'indemnisation des servitudes d'urbanisme.
C'est une exception française qui remonte au premier plan qu'on a voulu faire
à Paris, le plan Prost : les propriétaires ont dit " pas de ça, je refuse
qu'on limite mon droit. " Dans le dernier numéro de Town Planning Review,
j'ai fait une synthèse de l'application de ce droit. Il renvoie à des questions
beaucoup plus profondes, le contenu du droit de propriété. Si l'on suppose
des propriétaires vertueux, aménageant à long terme et remarquablement leur
bien, c'est parfait. Mais ce n'est pas toujours le cas. On ne peut pas généraliser
le comportement des propriétaires, il sont très diversifiés, notamment au
moment de l'héritage.