Discussion :
- A. Berque : C'est la statistique de l'enquête que vous avez réalisée
qui m'intéresse : les gens préfèrent la petite maison isolée dans la nature,
d'abord parce qu'ils veulent un jardin, symbole de nature, un peu plus de
place, avoir une vue dégagée sur la nature. Ce sont les hypothèses du colloque
tenu ici il y a quatre ans, les " Trois sources de la ville campagne ". C'était
une relecture de la théorie de la classe de loisir (Cf Thorsten Veblen). Ce
désir de nature a été construit historiquement et, depuis l'origine de l'histoire,
écrit par la classe de loisir, qui ne travaille pas. La nature, c'est ce que
le travail n'a pas encore transformé. Exalter la nature suppose évidemment
ne pas avoir du travail, pourtant il existe. C'est donc la classe de loisir
qui construit celà.
- B. Marchand : Une question pour Laurent Davezies. Je suis très frappé
par l'obsession que l'on trouve dans les instances politiques, dans les media,
même spécialisés, l'obsession d'assurer l'égalité des territoires et l'importance
du concept de territoire. J'ai trouvé récemment dans une revue d'informatique
un article sur le fait que certains territoires sont mal équipés en ADSL par
rapport aux autres, mais la revue ne se souciait pas de l'accès inégal
des différents groupes sociaux à l'ADSL. Or, il y a une idée
totalement banale et évidente : c'est que dans un pays comme la France où
la population est concentrée, assurer l'égalité des territoires, c'est assurer
l'inégalité des personnes et des ménages. Pourquoi une idée aussi claire et
aussi évidente n'apparaît-elle jamais ?
- L. Davezies : On croit que l'égalité sociale et l'égalité territoriale vont ensemble et que si l'on assure
l'égalité territoriale, on assure l'égalité sociale, alors que c'est l'inverse. La décentralisation a fabriqué
beaucoup de territoires qui, comme des poupées russes, reproduisent le même discours.
- J-J. Helluin : Question à L. Davezies : Dans l'un de vos ouvrages
de 2004 sur les mécanismes fonciers de la ségrégation, vous citez la difficulté
d'accès aux données sur le territoire à l'échelle intercommunale, sur la fiscalité
locale etc. Vous dites : " l'université apparaît marginalisée, tenue à l'écart
de la réalité d'une société qu'on lui demande pourtant de penser, généralement
dépourvue de moyens. Les économètres construisent des modèles sans avoir des
données pour les nourrir, les économistes s'enferment dans l'abstraction logique,
les sociologues dans l'analyse de représentation et les géographes se servent
des travaux des autres disciplines. On confond la recherche avec la rhétorique
idéologique, les chercheurs sont de plus en plus loin de la culture de la
donnée... " Est-ce que les universitaires ne sont pas coupables de la persistance
de certaines idées urbaphobes fausses en ne montrant pas que ce sont les grandes
villes qui payent pour le territoire ?
- L. Davezies : Il ne faut pas trop cracher sur les universitaires.
Comment font-ils s'ils n'ont pas de moyens pour acheter des données ? Vous
n'avez accès à rien. Il y a un fichier extraordinaire au ministère de l'équipement,
le SICLONE, devenu SITADEL, mais vous n'y avez pas accès. Même avec des moyens
pour le payer, c'est la propriété privée du ministère, on ne peut pas le sortir.
- R. Prud'homme : On peut citer la thèse de Davezies qui portait sur
la contribution de chacun des départements français au budget, en recette
et en dépense et qui était financée par la DATAR. Quand elle a été finie,
on a demandé la permission de la publier. On avait même un bon titre, " Les
départements qui payent pour les autres ". La réponse de la DATAR a été "
non ". C'est un exemple dans lequel les universitaires faisaient leur travail
et l'administration empêchait la connaissance d'être diffusée.
- L. Davezies : Attention, c'est mauvais en France, c'est pire à l'étranger.
- E. Heurgon : Je voudrais parler de ces deux exposés sur les usages et les choix des ménages On voit bien
la différence entre le modèle des bobos qui sont des nomades qui choisissent d'habiter en ville et qui ont besoin
de partir souvent pour justement avoir de l'espace, de la nature, du paysage, des loisirs et puis ceux qui choissent
d'aller habiter en péri-urbain lointain pour avoir un jardin etc.. On a deux modèles d'arbitrage espace/temps qui
sont à prendre en considération. Quant à la question de l'égalité de territoires, je crois que tant qu'on n'a
pas de moyens, on a un peu de mal, mais il faut quand même essayer de prendre en compte que peut-être, il y a
dans certains territoires, des situations inacceptables. Il faut passer plus à une réflexion par l'écart que par
la moyenne, donc réduire les situations inacceptables plutôt que peut-être avoir une forme de mobilisation
complète.
- A. Sallez : Je suis frappé par cette analyse de Berque sur la dissociation
du travail et du lieu de vie. On avait aussi des preuves : la localisation
idéale n'était pas juste à coté du travail, parce qu'on a besoin d'un espace
autre à s'approprier, un temps, un parcours entre le travail et le logement.
Au 19ème siècle, dans la ville de sidérurgie, on a toujours la maison de contre-maître
à l'angle parce qu'il fallait contrôler qu'il n'y eut pas trop d'évasion du
travail et qu'on n'allât pas se divertir ailleurs. Le patronat essayait de
contrôler. A l'époque contemporaine, on n'a pas écouté les urbanistes. Dès
l'après guerre, les enquêtes indiquaient que 74% de gens souhaitaient l'habitat
individuel. On n'a pas écouté, on a un peu triché en disant qu'on allait faire
de l'habitat qui aurait toutes les qualités de l'habitat individuel. Cela
n'a pas été une réussite extraordinaire !
- N. Mathieu : L'interrogation sur la relation ente l'habitat et l'individu
: je crois que la manière d'habiter permet de mieux comprendre/affronter la
question de la soutenabilité qui est la soutenabilité des lieux, la responsabilité
de chaque personne face à ces lieux. Nous avons commencé un travail qui consiste
à comprendre ce que habiter veut dire pour chaque individu et ménage.
- L. Davezies : Il y a beaucoup de débats sur la péri-urbanisation, stigmatisant les ménages qui partent dans
la grande couronne, etc. Il y a probablement des éléments de rationalité dans ce choix ; on ne pose jamais la
question de l'activité, on ne parle que d'habitation. La question d'emploi n'est pratiquement jamais adressée.
Or le coût de fonctionnement urbain, y compris sur le plan écologique, renvoie beaucoup plus aux localisations
des activités, qui ne sont jamais stigmatisées en Ile-de-France. L'essentiel de l'emploi créé en Ile-de-France
est créé dans la grande couronne. Cela a des effets de désorganisation monstrueux, bien pire que la localisation
des ménages. Je suis frappé par ce déséquilibre permanent dans le milieu des aménageurs : la ville,
c'est habiter ? Non, la ville c'est travailler aussi.
- N. Mathieu : Je prends la notion " habiter " dans le sens large. Habiter est travailler, circuler et habiter.
- J. Levy : Le système de redistribution fait que les pauvres des régions
riches payent pour les riches des régions pauvres. C'est un mécanisme d'une
perversité totale. Cependant, une partie importante de la population souhaite
quelque chose comme ça. L'égalité des territoires face à l'égalité sociale
: il me semble légitime dans une société démocratique qu'il y ait aussi l'égalité
des territoires. Les territoires ne se mesurent pas forcément sur des m2.
La perversité, commence là. En réalité elle est instrumentalisée, mais pas
tellement par les gens qui sont dans des zones vides. C'est plutôt dans les
zones moyennes, repeuplées par la péri-urbanisation. Là, on a une puissance
politique extrêmement redoutable qui explique que, par exemple, on n'arrive
pas à obtenir les élections au suffrage universel des exécutifs de
communautés d'agglomération. Il y a des contre forces extrêmement puissantes
qui empêchent la démocratisation des territoires. Les territoires, c'est le
contraire de la démocratie sociale ; ça peut en être une dimension à condition
qu'ils soient pensés dans une logique d'égalité : un homme, un voix.
- Y.Egal : Si les habitants fuient la ville, c'est parce que l'argent qui est gagné dans la ville n'a pas
été réinvesti dans la ville. Par exemple à La Défense, toutes les taxes professionnelles vont à la mairie qui
ne met pas un sou dans l'amélioration de la dalle à la Défense et de toutes les aménités nécessaires aux gens
qui y travaillent. L'argent est confisqué par les mairies de Puteaux et de Courbevoie, rien n'est fait pour
la dalle. Pour l'instant la Défense fonctionne, mais il est vrai que les entreprises de haut niveau qui
payent beaucoup de taxe professionnelle ont besoin de beaucoup d'aménagements, notamment dans les transports
en commun.
- Ph. Genestier : Je crois qu'on a assisté au cours des 15 dernières
années à un travail collectif pour produire quelque chose comme l'image heureuse
de la métropole. La métropole, c'est le royaume de la démocratie à travers
la gouvernance, le royaume de l'économie par la surproductivité des métropoles
face à la mondialisation. La métropole est aussi le royaume de la culture.
Si Davezies nous dit que la métropole ne marche pas si bien que cela, on a
l'impression que tout fout le camp. Quelle est la figure optimiste qu'on peut
mobiliser si la métropole fout le camp ?
- A. Sallez: Ca me gène un peu qu'on dise les métropoles, les villes moyennes parce que ce sont des moyennes
qui ne reflètent pas la réalité de chaque ville. Des villes moyennes ont de fortes croissances, d'autres se
cassent la figure. Les métropoles, c'est la même chose, elles ne sont pas toutes sur la même trajectoire. On peut
faire des moyennes, mais est-ce que les moyennes nous permettent de parler de métropoles ? Il faut s'intéresser
aux facteurs qui expliquent la dynamique des unes ou le manque de dynamique des autres. On a trouvé un certain
nombre de facteurs qui sont structurels, mais heureusement, on n'est pas dans une approche déterministe parce que,
avec ces éléments structurels, on n'arrive pas à expliquer, avec les meilleurs modèles économétriques,
plus de 75% de ce qui se passe. Le reste, il faut le chercher dans la gouvernance, dans la politique, le
leadership, d'où l'importance de ce qui a été dit à propos des communautés d'agglomération, des communautés
urbaines, qui ne sont pas des gouvernements et qui ne sont pas gouvernés sur le plan d'urbanisme. Je partage
tout à fait cet avis qu'il y a absolument une urgence à travailler sur l'organisation de la densification,
de la péri-urbanisation.