Discussion :
- N. Kerdoud : J'ai travaillé surtout sur les représentations urbaines
qui varient selon les groupes sociaux, selon les milieux de résidences et
aussi selon les milieux de pratique. La situation est spécifique à Constantine
parce que dans le regard extérieur, l'image urbaine de Constantine est encore
extrêmement positive pour les étrangers, il préserve l'image de l'urbain d'avant.
Pourtant cela n'a aucune incidence sur la ville, car Constantine n'est pas
un lieu de tourisme comme d'autres villes algériennes. J'ai construit mon
raisonnement autour de trois hypothèses : la ville récusée, c'est la ville
qui a été construite illégalement par les habitants et qui constitue donc
l'œuvre de la société civile. La ville que j'appelle la ville de la protestation
citoyenne, c'est la ville qui a été construite par l'Etat depuis l'indépendance.
La ville vénérée est la vieille ville de Constantine.
- A. Berque : Une question pour N. Kerdoud : quand vous dites que les
femmes n'osent pas aller au marché, c'est peut-être spécifique au monde musulman
car le marché est essentiellement l'affaire des hommes. Qu'est-ce que vous
en pensez ?
- N. Kerdoud : L'exclusion des femmes du marché reste spécifique à ce marché de Constantine. La spécificité de ce
marché est due aux produits qui y sont commercialisés : des pièces détachés, des produits volés, de la drogue.
On trouve des souks/marchés où les femmes peuvent aller confortablement.
- A. Sallez : Les deux pays se sont développés grâce au pétrole. Ce qui me frappe, c'est l'inadaptation de
l'influence européenne sur ces villes en transformation. La Birmanie fait partie de ces types de villes : ils vivent
de l'exploitation des mines et ils ont eu tellement peur de la ville qu'ils ont quitté Rangoon pour créer une
capitale en plein campagne, Pyinmana.
- N. Kerdoud : Les habitants critiquent souvent la ville, la dénonciation
des pouvoirs publics à propos de la ville planifiée revient souvent. Vous
retrouvez des espaces abandonnés qui ne sont pas pris en charge. La ville
historique reste, par contre, bien fréquentée.
- B. Marchand : Il me parait intéressant d'étudier les quartiers qui sont aimés et qui sont refusés pour des raisons
urbanistiques. Par ailleurs, je ne suis pas persuadé que le monde arabe soit particulièrement urbain, c'était
plutôt un monde de paysans et de nomades. Dans un empire aussi grand que l'empire turc, lorsqu'ils ont installé
un palais à Top-kapi, c'était en réalité des bâtiments dispersés dans une grande enceinte qui remplaçaient les
tentes de jadis. Dolmabahçe, le nouveau palais, a été construit à la fin du 19ème siècle, quand le sultan a
voulu imiter les villes européennes.
- G. Gawsewitch : Sur Caracas : les bidonvilles correspondent à quel type d'effectif ? Quelle était la fonction
de recyclage de population ? Quel était le positionnement d'autochtones sur cette manière d'habiter et aussi
des universitaires et de l'Etat ?
- M. Munoz : 70% de la population vivent dans des conditions précaires et 30% dans des conditions très précaires.
L'Etat n'a jamais réussi à résoudre le problème. Ce qu'il a fait le mieux, c'était les grands bâtiments que vous
avez vus qui sont d'environ 1958 et qui répondent à 10% des besoins. La construction sociale se fait par le
biais de maisons familiales : une maison pour une famille. Il y a une consommation de terrain énorme. La position
des professionnels : il faut des bidonvilles, il faut les intégrer dans la ville en les conservant, mais en
leur donnant des équipements publics, l'eau, les égouts, etc. Dans ces bidonvilles, les rues sont très étroites,
il est difficile d'y circuler en voiture, d'avoir des autobus. En outre, les pentes sont très fortes. L'un des
buts est de remplacer certaines maisons par de petits édifices à 3-4 étages pour gagner de la place, des
artifices qui paraissent la seule chose possible. Tout un groupe d'architectes insiste sur la qualité humaine,
l'intérêt de ces quartiers avec des petites rues, des petites places, la relation entre les gens. Ils montrent
que c'est beaucoup plus humain et beaucoup plus agréable que les grands édifices que nous avons vus, où les
gens sont séparés dans de grandes tours.
- A. Sallez : Est-ce que la collectivité publique assure la distribution de l'eau ?
- M. Munoz : Tout est plus ou moins piraté.
- N. Kerdoud : Tout est plus ou moins piraté aussi à Constantine.