Discussion :
- A. Berque: Howard était contre la grande ville, la métropole.
- J. Salomon : L'idée que l'idéalisation de la nature donne lieu à
l'étalement urbain était en germe chez Howard. Cette hypothèse est en même
temps avancée par Choay et par King qui travaille sur les idéologies anti-urbaines.
Quand on regarde le texte d'Howard, on s'aperçoit que sa théorie de cités-jardins
s'appuie sur une critique en règle de la grande ville industrielle, Londres
de l'époque. Ce que veut Howard, c'est prendre le meilleur de la ville et
le meilleur de la campagne. En outre, il voudrait exclure les horreurs de
la ville et les horreurs de la campagne. C'est en cela que je ne vois pas
chez Howard un urbaphobe convaincu.
- A. Berque : Howard est d'abord un penseur social. Il cherche une
réforme, comme il le dit dans la première publication de son livre
qui s'appelle Tomorrow-. A peaceful path to real reform. Le même livre
est publié sous le nom Garden city quatre ans plus tard, ce qui travestit
le projet fondamentalement puisque ce qui devient le motif principal est "
garden " alors que le fond du projet est une ville dans la campagne, une ville
prise dans un schéma général de reforme sociale. Ce n'est donc qu'un instrument.
Du point de vue urbanistique, cela reste trop général.
- B. Marchand : J'ai bien apprécié l'ambiguïté de vos communications
parce que je sens en vous entendant que nous sommes très unis pour juger l'urbaphobie
aux Etats-Unis. Elle a été très bien étudiée (Cf les Wright). Mais on est
très gêné parce que nous appliquons à la grande ville des catégories qui vont
mal dans le monde anglo-saxon. Nous avons tendance à définir la grande ville
comme un lieu de concentration de populations, avec de fortes densités, la
liberté politique, le cosmopolitisme, l'individualisme, etc. Les américains
refusent la concentration, la forte densité, ils acceptent la cosmopolitisme,
l'individualisme dans le cadre familial, la liberté politique. Du coup, on
ne sait plus où l'on est : on est frappé quand on les voit créer des villes
idéales comme par exemple Los Angeles, développée en 1910 comme une sorte
d'anti-ville avec des populations qui fuyaient Boston, Chicago pour trouver
mieux, une sorte de banlieue dans la campagne, qui n'était pas tout à fait
une ville.
- Y.Egal : C'est assez intéressant de voir ce qu'est devenu Letchworth,
la première cité-jardin : elle ressemble à une banlieue d'une banalité absolue
Elle était entourée de champs, mais il n'y a plus beaucoup de champs. D'autres
choses ont été construites autour. Les usines sont fermées et même le cinéma.
- A. Sallez : Je ne suis pas d'accord sur cette lecture de Letchworth parce que ce n'est pas du tout pavillonnaire,
ce sont des maisons de ville à l'anglaise.
- R. Le Goix : Sur la remarque d'A. Berque : la notion de délimitation
est fondamentale. Dans la ville privée, il y a systématiquement utilisation
des espaces verts comme espaces de délimitation, en périphérie le plus souvent
possible, pour éviter justement d'avoir des murs. Sur l'ambiguïté signalée
par B. Marchand, je suis très très mal à l'aise, certainement ! Il faut assumer,
quand on travaille sur des objets anglo-saxons, le parti-pris du regard français.
Par exemple, la définition de l'espace public est quelque chose d'extrêmement
particulier. Nos espaces publics sont les résultats de l'investissement d'un
espace à la Révolution française. Il y a une signification politique dans
l'espace public, qui est totalement absente de la culture anglo-saxonne. Juger
des villes privées à l'aide de la dialectique un peu simple espace privé/espace
public est un peu risqué et je préfère ne pas le faire.
- J. Salomon : Il y a un mystère concernant le changement du titre
de l'ouvrage de Howard. Il manque aussi, dans la deuxième édition, un schéma
qui présentait une agglomération idéale. C'était une agglomération polycentrique
avec une ville centre qui pouvait contenir jusqu'à 60.000 habitants Dès que
sa ville dépassait les 60.000 habitant, il fallait construire une autre "
garden city " et on pourrait en construire six autour, ce qui donnait finalement
une dimension de 250.000 habitants à sa ville. Ce schéma disparaît dans la
deuxième édition où la taille est limitée à 30.000 habitants. Concernant Letchworth,
c'était effectivement un habitat groupé à l'anglaise. Par contre, aucune cité-jardin
n'a été faite selon l'idéal exact de Howard, à cause des problèmes de financement
et aussi à cause de l'interprétation qu'en ont faite les architectes. En outre,
alors qu'il voyait un idéal autarcique, cela ne s'est jamais produit comme
ça, ce sont souvent des endroits où il n'y a aucune mixité des affectations.
Le rapport Barloo qui date de 1937 et qui fait référence à Howard en permanence,
notamment pour critiquer les grandes concentrations urbaines, déclare qu'on
va faire comme le proposait Howard, des villes nouvelles, et ils ont fait
des villes nouvelles, mais pas du tout dans la manière que Howard avait proposé
: ce sont des développements résidentiels péri-urbains.
- J. Levy : Quand vous dites anglo-saxon, vous n'avez pas totalement
tort, mais vous oubliez que la Grande-Bretagne est en Europe. Il y a une version
britannique du mouvement moderne en urbanisme qui est effectivement Howard.
Pour moi, c'est assez comparable, parce qu'au delà des apparences d'architecte,
il y a des zonages, l'idée d'une ville planifiée, d'une séparation des fonctions
et des populations qui sont liées justement au projet social. Je ne suis pas
d'accord donc avec cette idée que Howard serait polycentrique : au lieu d'avoir
une grosse ville compacte, on aurait plusieurs petites, non ce n'est pas vrai
! Parce que c'est une ville où les fonctions sont séparées, où l'on ne fait
pas les mêmes choses dans le centre et dans la périphérie. Il y a une système
très " école de Chicago ", les riches et les pauvres ne sont pas dans les
mêmes zones et cela, quelque soit l'échelle. De ce point de vue, on est très
proche de l'approche je dirais américaine, même en dehors de gated communities,
notamment dans les villes qui n'ont pas la tradition européenne. Los Angeles,
les gated communities, ce sont des villes où par exemple il n'y a jamais de
commerce dans les rues où se trouve la fonction résidentielle. On est bien
dans le mouvement moderne en urbanisme, avec une petite variante anglo-saxonne,
parce que là on est plutôt dans l'idée que les choses différentes, il
vaut mieux ne pas les obliger d'être ensembles parce que cela va provoquer
des conflits, comme dans la version allemande, avec les " casernes de logement
" (Mietkaserne) qui provoquent des émeutes.
- J. Salomon : Etant donné leur échelle, toutes ces cités-jardins avaient
un réel zonage, qui est aussi hygiéniste, il mettait les industries loin des
gens. Il est vrai qu'il y avait des quartiers plus bourgeois que d'autres
et que ça servait notamment au financement de ces cités-jardins.