Discussion :
- V. Renard : Deux remarques ... Vous citez le rapport Larcher. C'est
le nième de ces rapports officiels qui essayent de revaloriser ce qu'il y
a autour de la ville : je me souviens du rapport Mayoux ( Mayoux J et alii
(1979) Demain, l'espace. Rapport de la mission d'étude sur l'habitat
individuel péri-urbain, La Documentation Française) dont l'objet principal
était de réhabiliter l'espace périphérique. Les auteurs de ce rapport ont
publié des ouvrages, un qui s'appelle La rurbanisation ou la ville éparpillée
(G. Bauer et J-M Roux (1976) La rurbanisation ou la ville éparpillée,
Edition du Seuil, Paris) expliquant que de toute façon, c'était ces espaces
là qui seraient valorisés. Puis, ils ont décrit une banlieue de charme, où
l'on découvre que dans la banlieue pourrie, le Vesinet est également un espace
périphérique ... Deuxième remarque : il y a deux lectures possibles de ce
que vous dites ; une lecture de conscientisation des institutions : on prend
conscience des problèmes, on rectifie les politiques et on valorise ces espaces
avec de la verdure, etc. Une autre lecture consiste à dire que le jeu des
acteurs est très largement indépendant des institutions et des pouvoirs publics
: elle valorise elle même. Ce sont les centres commerciaux, des marques de
sous-vêtements ... Quelle est l'articulation entre les deux ? Il y a une grande
part de marketing urbain : on. dit que ce sont des tours superbes, on va les
"patrimonialiser" ; tel grand ensemble pourri appartient maintenant au patrimoine
de l'UNESCO. Ce marketing vient des acteurs privés qui cherchent à valoriser
leurs activités. Comment cela s'équilibre-t-il ?
- M. Dumont : Bien sur, il y a toute une série de rapports sur la question.
Ce qui m'intéresse, c'est de voir comment ces rapports ont produit l'urbaphobie.
Pour fonctionner, pour légitimer leur action, ce monde là crée son propre
monde urbaphobe : "Ce n'est pas urbain, il faut que ça le devienne". Est-ce
que ces espaces ne sont pas vraiment urbains ? Est-ce qu'il n'y a pas d'autres
critères propre à ceux qui y habitent qui considèrent ces lieux comme tout
à fait urbains et non pas du tout sous cet angle qui est extrêmement esthétique.
J'y vois des confrontations de modèles. Les acteurs ont besoin de cette urbaphobie
pour légitimer leur action, pour exporter un modèle qui leur semble plus acceptable
que celui qui serait relié à des pratiques ou à des stratégies, à d'autres
sens qui seraient donnés à ces espaces périphériques.
- E. Heurgon : Est-ce que vos lectures ne viennent pas justement de rapports
centraux ? Vous évoquez beaucoup des plans : ne s'agit-il pas d'un discours de la
nation sur la ville ? Si l'on travaille avec des collectivités territoriales au
niveau des régions, des départements, a-t-on cette même manière de parler de péri-urbain ?
J'ai travaillé sur un DDA : on n'en parlait pas en terme de péri-urbain, ni de sub-urbain
mais d'hinterland. Je trouve un peu gênant d'employer toujours des mots comme péri, comme
sub-urbain … Il y a, au niveau de la recherche, un effort à faire pour construire des
concepts qui ne renvoient pas sans arrêt à la ville-centrale. En Ile-de-France, le
sub-urbain, c'est la banlieue proche, le péri-urbain étant considéré comme beaucoup
plus éloigné. Quand on travaille sur la campagne, on parle de para-urbain parce que,
autant les gens des villes ont envie d'aller vivre dans la campagne, autant les gens
des campagnes ont envie de se rapprocher des villes. Pourquoi appeler cela péri-urbain
et non para-urbain ?
- Y. Egal : L'INSEE définit clairement des normes pour l'aire urbaine, le péri-urbain et la ville.
- E. Heurgon : C'est une grille de lecture statistique, cela se discute.
- Y. Egal : Oui, mais dans cette idée là, le suburbain n'a plus de place. C'est un terme
qui vient d'Amérique. Je pense que, par rigueur, on ne devrait pas l'utiliser.
- M. Dumont : Je n'essaye pas de légitimer une catégorie, je me pose
des question : pourquoi ne parle-t-on pas de sub-urbain ? En quoi cela nous
éclaire-t-il sur l'urbaphobie, l'urbaphilie ? Ce que vous dites sur Malakoff
est exactement le discours institutionnel … c'est très amusant de vous écouter
là-dessus parce que c'est exactement la reproduction des documents de communication
territoriale, la vision extrêmement extérieure qu'ont les différents élus
de ce quartier, totalement isolé entre quatre voies de chemin de fer. Dans
ce discours, les institutions déclarent que ce quartier n'est pas urbain ;
il faut le rendre urbain, notamment en l'incluant. Comment introduit-on une
dimension anti-urbaine dans ce quartier qu'il s'agit de mettre aux normes
? Les critères urbains que vous mobilisez sont ceux de raccordement. Il sont
liés à une certaine idée de la ville que j'ai évoquée tout à heure.
- Y. Egal : Il n'y a pas là d'urbaphobie.
- M. Dumont : Le discours officiel construit une urbaphobie. On discute de la standardisation
des formes urbaines, des espaces publics. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, cette
standardisation n'est pas imposée, les habitants veulent autre chose, mais exactement l'inverse.
Les chargés de projet savent très bien que quand ils proposent des modèles alternatifs de production
de l'espace public, ils rencontrent des contestations de la part de la population qui demande la
mise en conformité des espaces publics. Il ne faut surtout pas rester sur l'idée que cette mise en
conformité d'espace urbain est imposée par les institutions, dans des schémas extrêmement
caricaturaux ou binaires.
- J. Salomon : On parle dans ce colloque d'une opposition entre une campagne idéalisée et une
ville industrialisée. Vous nous proposez une opposition entre deux villes, entre une ville idéalisée,
le centre compact et une ville dévalorisée, la périphérie. En Suisse, on oppose la ville compacte et
la ville étalée.
- M. Dumont : On est effectivement dans la dénégation des spécificités.
- E. Heurgon : Ces lieux dont vous parlez, est-ce que ce ne sont pas les non-lieux d'Augé,
des lieux de tension principale qui n'appartiennent à personne ? On discute aujourd'hui de la difficulté
de gouverner ces lieux qui n'appartiennent à personne et qui sont en même temps innovants pour de
nouveaux usages.
- V. Renard : Vous soulignez un point qui me parait d'une très grande importance : vous dites "
qui n'appartient à personne" ; c'est tout à fait décisif de savoir si c'est un acteur public passif,
un privé attentiste, un spéculateur actif … Le territoire se structure dans une large mesure en
fonction précisément de la nature du propriétaire.
- E. Heurgon : Je parle d'une tension d'usage qui crée des lieux.
- M. Cluet : Vous avez une approche de linguiste, vous explorez un champ sémantique,
vous essayez de structurer ce champ sémantique à partir des occurrences que vous observez.
Par rapport à suburbia, je me demande si le terme polémique qui serait à mettre en face ne serait
pas junk space, un terme que je vois apparaître. Je pense particulièrement à Learning from Las Vegas
de Charles Jenks. Que finalement on rajoute un peu de verdure ou non, cela ne fait pas une grande différence...