Discussion :
- A. Berque : Je vous invite à étudier la notion de Nature. Il y a deux aspects,
l'environnement et la chair qui est dans la ville, qui s'opposent. Cette ambiguïté fait
que c'est la ville qui dicte ce qu'est la nature.
- M. Vacher : Il y a effectivement un rapport contradictoire à la ville chez Rousseau. La nature
est dérèglement. Rousseau envisage une ville-parc, dans laquelle on aura aboli cette contradiction
entre ce qui relève de la nature et ce qui relève de l'urbain. Mais Rousseau parle de la
nature en habitant en ville. Il est partagé entre fascination et répulsion de Paris.
- B. Marchand : Il faut distinguer deux types d'urbaphobie, l'une
critique la grande ville parce qu'elle est mal équipée, mal gérée, mal administrée
; cela relève de l'aménagement urbain. Ce n'est pas cela que j'appellerai
l'urbaphobie. Il y a un deuxième aspect, la haine de la ville parce que c'est
la grande ville, la concentration, la cosmopolitisme, l'individualisme, etc.
Rousseau est à l'origine d'une grande partie de l'urbaphobie française, il
est perpétuellement cité depuis un siècle mais il n'est pas un philosophe,
il affirme brièvement, mais il ne prouve rien. Il répète à chaque page de
l'Emile que la population devrait être distribuée également
sur l'ensemble du territoire et que la concentration est dangereuse, mais
on ne sait pas pourquoi. Concernant les banlieues, il me semble qu'il existe
une diabolisation des banlieues depuis les années 1920 jusqu'à nos jours.
Depuis quelques années, apparaît une nouvelle diabolisation, celle des "banlieues
vertes", au sens d'islamistes. Or, les banlieues sont les grandes productrices
de la richesse française. Elles logent les couples jeunes, qui font des enfants,
qui travaillent, qui payent des impôts et qui manquent d'équipements, car
les ressources de l'Etat sont dépensées dans les campagnes. L'Etat a besoin,
en grande partie par clientélisme, d'exploiter les banlieues. La meilleure
manière est de dire qu'elles sont dangereuses. De nos jours, ce qu'on critique
n'est plus la ville, mais les banlieues.
- R.Prud'homme : L'un des grands intérêts de Rousseau est qu'il est
un des auteurs le plus concentré sur lui-même et qui s'est le plus occupé
de la vision sociale, politique et économique, c'est qui est relativement
rare. Cela nous amène à la discussion de ce matin : à la fois sur ce que peut
être une vision personnelle reposant sur les sentiments d'une part et puis
ce que peut être une théorisation sur la ville, son rôle et sa fonction. Il
est urbaphobe en tant qu'individu, même si il est plein de contradictions.
En revanche, le Rousseau politique, social, n'est pas ambigu en ce qui concerne
la grande ville : il est contre.
- Y. Egal : Ce qui est intéressant à étudier, c'est le passage des
sentiments qui ont été analysés. Il a des sentiments et une idéologie.
- M. Vacher : La référence chez Rousseau est la cité antique, donc
réduite. Il est important, dans cette cité, qu'on puisse se déplacer, se connaître
de manière à participer à la vie politique. La réflexion de Rousseau s'inscrit
dans une réflexion générale du XVIIIème siècle et est partagée par les gens
de sa génération. Il s'est inspiré largement des réflexions d'urbanistes qui
visent à transformer entièrement l'espace habité et l'espace social, le limiter,
le réduire. On pourrait aussi parler de rapports aux odeurs, aux bruits, qui
se trouvent chez Rousseau, mais aussi chez d'autres.
- A. Fourcaut : Dans les journaux communistes locaux des années 1920 sur les banlieues,
on parle d'un prolétariat sain alors que la ville-centre rassemble une population corrompue
et dégénérée. B.Marchand a raison, il y a effectivement une continuité qui est spécifique à
Paris et qui nourrit cette représentation. Il y a en même temps une construction socio-politique
des banlieues rouges qui est réelle et qui n'a pas de concurrent jusqu'aux années 1960.
Mais comparer les banlieues rouges aux banlieues islamistes, cela me parait deux situations
très différentes.
- M-F Robic : Le lien que j'ai vu entre vos deux exposés reposait sur un transfert de valeurs
du peuple parisien au prolétariat de la banlieue. M.Vacher, vous dites qu'il y a un rejet de
la ville très fort au XVIIIème siècle à propos de l'hygiénisme. En revanche, je n'ai pas vu
en quoi Rousseau s'est démarqué de cet hygiénisme anti-urbain.
- M. Vacher : Je ne pense pas qu'on puisse dire qu'il y a un rejet
urbain dans la philosophie des Lumières, je dirai qu'il y a une volonté de
transformer la ville, la remodeler. Il y a une volonté de la modifier et de
l'améliorer. On ne peut pas parler d'un rejet mais plutôt d'un projet. Il
faut rapprocher le projet des Lumières de celui de Rousseau dans un certain
sens. La réflexion sur la pollution, etc. peut être retrouvée chez tous les
deux.
- J. Salomon : Par rapport à l'hygiénisme et à l'idée qu'il existerait une critique constructive
de la ville qui ne serait pas issue de l'urbaphobie, je pense que ce genre de critique, basé
sur le matériel, peut cacher des idéologies.
- M. Vacher : Derrière la critique de la ville, il y avait une peur des populations dangereuses
et aussi une volonté de transformer et de combattre ces classes dangereuses.
- Y. Jaggi : Rousseau détestait les intermédiaires et la démocratie représentative. Or, les
grandes villes ne permettent pas un contact direct avec les habitants.