Discussion :
- G. Molina : Pourquoi avoir choisi la bande dessinée ? Parce que
c'est un art populaire qui joue davantage sur une logique de proximité avec
son public que de distance, contrairement à certaines formes d'art pur qu'a
pu étudier Pierre Bourdieu. Elle se nourrit d'un certain nombre de représentations
empruntées au monde social. La bande dessinée correspond à un media de masse
et en même temps, elle a pu créer sa légitimité culturelle au point d'être
considérée aujourd'hui comme le 9ème art. C'est l'influence qu'elle subit
et à la fois qu'elle exerce sur les représentations sociales qui m'ont conduite
à la considérer comme un indicateur privilégié des images de la ville. Il
s'agit d'une approche comparative, de dégager les récurrences, de mesurer
le poids de certaines images et de préciser éventuellement les variations
qu'on observe d'un œuvre à l'autre. Au niveau de la représentation de la ville,
on a deux logiques : une logique qui est celle de la synecdoque, on représente
la ville à partir d'un certain nombre d'attributs et puis une autre logique,
que j'ai abordée dans la deuxième partie, qui est la représentation globale
de la ville. Un point qui me parait très importan : la question de la mobilité
spatiale des héros. On a deux cas de figures. Les personnages qui viennent
d'ailleurs ont donc des représentations exogènes de la ville : elles ne s'appuient
pas sur des perceptions et des pratiques directes. Autre cas de figure, les
personnages qui vivent dans la ville sans vraiment la connaître et qui ont,
au contraire, des représentations exogènes de la campagne et des représentations
antagonistes ville et campagne. On a chaque fois la même logique, des représentations
qui s'appuient sur de stéréotypes sociaux, qui réduisent la ville à une dimension
particulière, urbaphobe ou urbaphile. Mais la découverte de l'univers urbain
dans un cas et la mobilité résidentielle qui se fait de la ville vers la campagne,
ces deux mouvement vont correspondre dans l'histoire aux parcours initiatiques
durant lesquels les personnages découvrent ou redécouvrent la ville. Ils vont
être amenés à construire : dans un cas, des représentations endogènes au milieu
urbain, fondées sur des perceptions et pratiques de la ville ; dans l'autre,
la découverte et les pratiques du monde rural vont les amener à réviser leurs
représentations de la ville et corrélativement celles de la campagne et de
la ville.
- J. Salomon : Il ne s'agit pas dans ce colloque de dire qu'il n'y a que des représentations anti-urbaines
de l'urbaphobie, mais il s'agit de notre objet de recherche. Nous ne nous intéressons pas à toutes les
représentations de la ville, mais à une certaine représentation parce que, en fait, dans toutes les époques,
la ville était aimée et pas aimée.
- G. Molina : Je suis d'accord avec toi, sachant qu'il y a toute une série d'aménageurs et de politiciens
qui vont la réduire à une seule dimension, une reconstruction de la cohérence. Quand on aborde les politiques,
il est peut-être plus pertinent de privilégier une dimension très politique. Je me place davantage au
niveau des représentations artistiques et des liens qu'elles entretiennent avec les représentations sociales.
Il y a en effet un certain nombre de processus de rationalisation, mais aussi une complexité, une alternance,
une ambiguïté au niveau des représentations sociales.
- R. Prud'homme : Tu parles de la bande dessinée, tu parles d'une diversité de représentation, mais on ne voit
pas s'il y a des points de vue ambivalents chez un même auteur. Est-ce que cette diversité vient d'un même
auteur ou d'auteurs différents ?
- G. Molina : Elle est inscrite dans chacune des bandes dessinées. Il y a une vraie ambiguïté et des contradictions
au sein de chaque bande dessinée.
- N. Mathieu : Est-ce que tu as essayé de voir dans ton corpus s'il y a une évolution chronologique ? Quel type de
représentation tu penses avoir atteint ? Est-ce que tu as tenté d'aller jusqu'à l'individu ? Est-ce plus des
représentations collectives ?
- G. Molina : Je n'ai pas étudié l'aspect chronologique. J'ai observé
par contre une circulation de certaines images étonnantes. J'ai étudié des
séries qui sont publiés après 1980 où il y a souvent des représentations de
Paris au 19ème siècle. Cela amène l'idée qu'il y a une reprise de représentations.
La BD est à la confluence de plusieurs arts : arts plastiques, littérature,
poésie. Ce qui m'intéresse est la circulation.
- Ph. Genestier : Est-ce qu'on peut émettre l'hypothèse qu'il y a dans
l'image de la ville du 19ème, une sorte de stéréotype à la fois social et
figuratif ? Qui dit couche populaire dit proletariat, ... Le cas de Liverpool
traduit dans le contexte français, ce sont les faubourgs parisiens. Quand
il y a une volonté d'intervention sur le champ politique, le fait de mobiliser
des stéréotypes sociaux au premier degré permet de produire un effet de marqueur
idéologique immédiat.
- G. Molina : La couleur politique joue effectivement un rôle important
et qui est souligné par de nombreux auteurs. La question du progressisme est
un élément structurant. Mais c'est beaucoup plus complexe. C'est une ville
qui devient la ville industrielle, avec le changement économique. Puis vient
le roman réaliste du 19ème siècle : les auteurs de BD ont été influencés par
tout cela. Le roman réaliste, je crois, a beaucoup marqué l'imaginaire collectif.
Je pense notamment aux grands architectes et urbanistes contemporains comme
Bruno Fortier qui reprend un certain nombre de remarques de Balzac. On retrouve
dans les textes des architectes et urbanistes contemporains cette présence,
cette citation des grands romans classiques. J'ai bien conscience que la politique
ne peut pas complètement intégrer ces questions-là, mais c'est tout simplement
pour soulever une complexité, une diversité et une contradiction qu'on retrouve
aussi dans un certain nombre de politiques publiques.
- M-F Robic : J'ai senti une sorte de posture ironique, une innocence
par rapport à la ville, une identité urbaine qui serait romantique… mais en
tout cas, cela a été complétement différent de ce qui a été
dit sur le science fiction. Je voudrais vous questionner sur votre corpus.
- G. Molina : Je n'ai pas étudié toutes les bandes dessinées et j'ai
exclut les BD de science fiction parce que c'est un genre très particulier.
Ce qui est intéressant, c'est qu'il y a souvent de l'autobiographie dans les
bandes dessinées. Les auteurs se mettent en scène à travers ces bandes dessinées.