Discussion :
- G-H Laffont : C'est qui est intéressant dans le cinéma de Tati, c'est qu'on est très loin du pessimisme de
Blade Runner. On peut dire que Tati était urbaphobe, mais je trouve que c'est, chez lui, plutôt un rapport
répulsion/fascination concernant Paris. Par exemple, dans Mon Oncle, nous ne savons pas non plus si l'on
parle de la ville ou de la société de consommation.
- B. Marchand : Quand vous parlez de la ville bucolique chez Tati,
je ne suis pas tout à fait d'accord. C'était vrai pour les deux premiers films
: Jour de fête se passe dans un petit patelin français, Les vacances
de M.Hulot dans une petite ville balnéaire. Le troisième oppose les villes,
une ville ancienne et une ville moderne, deux quartiers différents à Paris.
Il oppose surtout un ancien mode de vie, le capitalisme à la française avec
un patronat qui triomphe parce qu'il s'entend avec l'Etat et des ouvriers
qui sont protégés par des syndicats. Ainsi, les gens ne travaillent pas beaucoup,
aiment prendre un pot au bistrot, ... une société où l'on jouit de la vie
sans travailler beaucoup. De l'autre coté, dans Mon Oncle, on raconte
la société que les Français imaginent à l'américaine, une société moderne,
très bien organisée, où le seul but de la vie est de produire. De ce point
de vue, j'aimerais le rapprocher du personnage de Gaston Lagaffe : c'est le
rôle de M.Hulot ! Il s'agit donc plutôt d'un questionnement entre le passé
et l'avenir, du coup, d'une critique du développement, d'une modernisation
capitaliste, donc une critique du monde moderne. Cela rejoint toute une attitude
politique que l'on trouve aujourd'hui sur la planète, la grande opposition
à l'Occident.
- A. Berque : Vous avez insisté sur le verre, élément très fort de la modernité… Ici, il y a une symbolique
très fort, le verre, c'est l'air, c'est sain. Je disais que c'était un élément de la modernité, mais c'est
toujours d'actualité. On a demandé à un architecte d'expliquer l'architecture, il a répondu " a space with
light and air " , mais où j'habite moi, j'ai besoin de quelque chose de solide ...
- B. Marchand : Je ne trouve pas cela anti-urbain. Je crois que c'est une sorte de puritanisme. Je te
rappelle que chez les Amishs, en Pennsylvannie, il n'y a pas de rideau, pas de volet : chacun doit pouvoir
voir ce qui se passe à l'intérieur. On retrouve cela dans Playtime où les voisins se regardent ...
- G-H Laffont : Le verre, c'est toujours le contrôle. Il permet la transparence ; il montre quelque chose
de l'intérieur et il permet le contrôle de l'extérieur.
- B. Marchand : Il s'agit d'une critique de l'architecture moderne plutôt que d'une critique de la grande
ville, parce que la grande ville est censée assurer l'anonymat et la protection de l'individu. Ici, c'est
plutôt une critique du moralisme et du puritanisme liés au système de production qui vient des Etats-Unis,
et une critique de l'architecture moderne.
- N. Mathieu : Reste entière la question de ce qu'on va appeler la
ville : est-ce que les architectes et les urbanistes n'ont pas l'idée qu'ils
font toujours la ville ? C'est cela qui est difficile à décoder, et quand
on parle de l'anti-ville, c'est l'anti-social mais c'est aussi une fabrication
d'une certain matérialité, et le verre est aussi matériel. Moi, je reviens
sur ce que vous avez dit à propos de suburbia.. Il y a dans la définition
de l'Urbanisme un désir de modèles et ces désirs sont contradictoires. Le
mérite de nous faire réfléchir sur l'urbaphobie, c'est que finalement, c'est
dérangeant. Vous nous obligez d'aller jusqu'au bout de ces modèles et de ces
désirs et cela c'est une question qu'il faut continuer à tenir. On ne voit
pas jusqu'où va la détestation chez Tati, s'il y a quelque chose qu'il déteste
vraiment. Réfléchir à ce qui est mal-aimé est un question importante.
- M. Cluet : A propos de représentations sociales et du rapport aux
deux media, j'ai l'impression que le corpus de Géraldine Molina est quand
même distinct parce que le graphisme introduit une dimension d'auto-dérision,
une espèce d'auto-parodie, par exemple dans l'utilisation de la citation.
Un film américain cite Metropolis. Cette citation n'est visible que
pour quelqu'un d'averti. Le graphisme implique une auto-dérision, une plus
grande distance. De ce fait, l'impact serait aussi moindre parce que celui
qui lit serait plus lucide.