H Lecouturier (1848) Paris incompatible avec la République, Desloges, Paris.

Ce texte est capital car il énumère, parfois avec une franchise touchant à la naïveté, les principaux griefs qui ont été adressés à la grande ville jusqu'à nos jours.

II - Paris mange la France et ne produit pas : "Paris ne subsisterait pas un mois sans la France, et la France n'en continuerait pas moins à vivre et à prospérer sans s'apercevoir seulement que Paris lui manque. Paris tient en sa main les fils de trop de choses pour qu'il n'en laisse pas échapper quelques-uns [...] Qu'il y prenne garde ! Les départements finiraient par le regarder comme leur tyran, et ils rompraient avec lui [...] Il sont las de jouer le rôle de marionnettes, manoeuvrant au mouvement du télégraphe." L'auteur reprend l'argument des Physiocrates, malgré le développement considérable, entre la fin du XVIII° et le milieu du XIX°, des formes modernes de production : industrie, commerce, banque, assurance, etc.. qui sont presque toutes caractéristiques des grandes villes. Jules Méline, en 1892, reprendra le meme argument.

V - "Dégénérescence des races à Paris : "Paris est aussi malsain pour l'âme que pour le corps". Le mot de "race" n'a pas de sens raciste ici, mais désigne simplement un groupement humain. C'est la répétition d'une phrase de Rousseau dans l'Emile.

VII - Concubinage; Un bâtard sur trois enfants : "Paris ne se reproduit pas, il se recrute. Aucune génération n'a de lien de parenté avec l'autre [...] On ne naît pas à Paris, mais on y meurt" Il ne s'agit pas ici de critiquer seulement la faible fécondité des Parisiennes, mais aussi de condamner la débauche et le cosmopolitisme, considérées comme caractéristiques de la grande ville.

VIII - La débauche partout et sous toutes ses formes : "Comment la morale pourrait-elle être autre chose qu'un mot dans une ville où l'on ne met pas le pied dehors sans se trouver face à face avec l'impudeur, la lubricité et la dégradation ? Le vice est partout, il stationne dans chaque jardin public, dans chaque rue, sur chaque place, au coin de chaque trottoir, je dirais presque dans chaque maison." Effet de la concentration de la pauvreté dans le coeur des grandes villes et souvenir chrétien et violent des anathèmes lancés contre Babylone pendant tant de siècles.

IX - Incognito, cause de tout le mal : "La première condition de moralité pour un pays est que la conduite de chacun y soit exposée à la censure de tous ; qu'on habite, pour ainsi dire, dans une maison de verre. Ce résultat ne peut être atteint que dans un endroit où tout le monde se connaît, comme au village, où l'on est retenu dans le devoir par la crainte de passer par les langues, sorte d'avertissement, blâme préliminaire avant d'encourir la réprobation et le mépris public. Rien de pareil n'est à craindre dans les grandes villes, l'incognito y est facile.. " Texte capital: Lecouturier est le premier (et le dernier) à oser reprocher à l'anonymat urbain de protéger la liberté individuelle quand l'exiguité de la vie villageoise contraint chacun dans un réseau de bonnes moeurs et de traditions. La critique est fondée mais elle revient à condamner la liberté : aucun auteur chrétien n'osera s'exprimer aussi clairement à l'avenir. Ils prendront une voie détournée en déplorant la "solitude" dont on souffre dans les villes et qui n'est que l'autre face de la liberté.

X - Chasser les activités hors de la grande ville :“Avant tout, j'interdirais à Paris toute fabrication industrielle dont la présence n'y est pas absolument indispensable... Par cette mesure, Paris diminuera considérablement en population et par suite, en malaise moral et physique. Bien des maisons se videront. La ville sera trop grande pour ce qu'il restera d'habitants."Tout le programme de Gravier et de l'Aménagement du Territoire résumé en quelques mots en 1848. Un siècle plus tard, Claudius-Petit et les aménageurs se fixèrent le même but, à croire que rien n'avait changé en France.