Nature vs Culture
Cette opposition est fondamentale, mais elle est beaucoup moins évidente qu'il n'y paraît.
La grande ville a toujours apparu comme l'une des plus grandes créations des diverses cultures humaines. On l'a d'ordinaire opposée à la Nature, création divine, qui échappe à l'homme et s'oppose souvent à lui. Ainsi, l'opposition Nature/Culture
a été en général conçue comme une opposition création humaine/création divine, Homme/Dieu.
Elle implique en effet une séparation radicale entre un Dieu transcendant, créateur et un
Univers créé, ce qui est le point de vue des grandes religions monothéistes, dites d'Abraham :
Judaïsme, Christianisme et Islam.
De ce point de vue, la Nature, créée par Dieu, ne peut être que bonne et la Culture, oeuvre
de l'homme, nécessairement mauvaise, rendue suspecte par l'orgueil et la désobéissance,
entachée par le Péché Originel.
Dans la doctrine chrétienne, il existe, cependant, une différence de perception entre les Catholiques, suivant l'Eglise et les Chrétiens Réformés, suivant la Bible :
- Pour les Catholiques, Dieu à offert aux hommes la Terre pour qu'ils l'aménagent (d'où les convictions
d'Henri Pourrat qui voyait dans les paysans une race supérieure chargée d'achever l'oeuvre divine).
La Nature idéale est alors une Nature ordonnée, travaillée, comme les allées du parc de Versailles. C'est ainsi que les Français
veulent que la Nature soit cultivée : les paysans leur semblent nécessaires à la définition d'un cadre naturel, oubliant
qu'ils comptent parmi les principaux pollueurs de l'environnement, en particulier des ressources en eau.
Au contraire, la Nature sauvage, comme les sommets des Alpes, paraissait "effrayante", "horrible" aux voyageurs du XVIII° siècle.
- Les Protestants, en revanche, voient dans la Nature l'oeuvre de Dieu, forcément parfaite et dans la Ville,
celle de l'Homme, nécessairement mauvaise et condamnée. D'où le vers fameux de Walt Whitman : "God made Nature, Man made the City."
Les grands parcs américains sont des morceaux de Nature protégés de l'action néfaste des hommes.
Ainsi, la Ville, oeuvre principale de la Culture, de l'Homme, est intrinséquement mauvaise.
Aujourd'hui, cependant, les développements de l'écologie affaiblissent beaucoup cette opposition. On ne sait plus clairement
ce qui distingue la Nature de la Culture. Un champ labouré par un puissant tracteur guidé par GPS calé sur des satellites
et couvert d'engrais azotés est-il vraiment plus naturel qu'une rue de Paris bordée d'arbres ? En 2005, une grande
tempête dans la Manche provoqua l'éboulement de pans entiers des grandes falaises du pays de Caux. Des maires
demandèrent à l'Etat de bétonner le pied de ces falaises pour "protéger la Nature"... d'elle-même !
La conception religieuse dualiste d'un Dieu transcendant a été niée au XVII° siècle par Spinoza, s'inspirant de Giordano Bruno.
En identifiant Dieu avec la Nature (Deus sive Natura), Spinoza n'imaginait qu'une seule puissance dont l'homme faisait partie.
Il n'y avait plus d'opposition Nature vs Culture. Spinoza posait ainsi les bases de la pensée moderne, mais les opinions changent lentement.