O Spengler (1917-1923) Le déclin de l'Occident, esquisse d'une morphologie de l'histoire universelle,
2 vol, NRF, Gallimard (traduction 1976)
L'oeuvre de Spengler, publiée entre 1917 et 1923, au milieu de la
catastrophe que subit l'Europe,
a impressionné l'opinion et apporté aux ennemis de la grande ville la
théorie cohérente qui leur manquait.
Les urbaphobes français (en particulier Pourrat, Gravier ...) l'ont
abondamment utilisé sans le citer.
Spengler critique violemment l'individualisme que développe la grande
ville, en particulier, l'émancipation de la femme.
Hitler affirmera que la doctrine nationale-socialiste évitera à
l'Allemagne le déclin prédit par Spengler et promet "un Reich de mille
ans".
N.B : Kultur a un sens plus large que le français "culture". Il
s'agit d'une période dynamique de formation de l'homme, la "Bildung".
"Une culture naît au moment où une grande âme se réveille, se détache de l'état psychique primaire d'éternelle enfance humaine,
forme issue de l'informe, limite et caducité sorties de l'infini de la durée. Elle croît sur le sol
d'un paysage exactement délimitable, auquel elle reste liée comme la plante. Une culture meurt quand
l'âme a réalisé la somme entière de ses possibilités sous forme de peuples, de langues, de doctrines
religieuses, d'arts, d'États, de sciences, et qu'elle retourne ainsi à l'état psychique primaire."
"Quand le but est atteint et l'idée achevée, que la quantité totale des
possibilités intérieures s'est réalisée au dehors, la culture se fige brusquement, elle meurt, son sang coule,
ses forces se brisent - elle devient civilisation. C'est ce que nous sentons et entendons par les mots égyptianisme,
byzantinisme, mandarinisme. Arbre gigantesque rongé par le temps dans la forêt vierge, elle peut tendre encore
ainsi durant des siècles et des millénaires ses branches vermoulues. Nous le voyons en Chine, dans l'Inde et
le monde islamique. De même, la civilisation antique monta comme un géant à l'époque impériale avec une apparence
de sève et de force juvénile ...
C'est le sens de tous les déclins dans l'histoire - le sens de l'accomplissement intérieur et extérieur,
celui de la fin qui menace toutes les cultures vivantes; - parmi ces déclins, le plus distinct,
celui de « l'antiquité », s'étale à grands traits sous nos yeux, tandis qu'en nous et autour de nous,
nous suivons clairement à la trace les premiers symptômes de notre événement, absolument semblable
au premier par son cours et sa durée et appartenant aux premiers siècles du prochain millénaire, "le déclin de l'Occident". (p 114)
"La peur cosmique est certainement le plus créateur de tous les sentiments primordiaux.
L'homme lui doit les formes et les figures les plus mûres et les plus profondes non seulement de sa
vie intérieure consciente, mais aussi des reflets de cette vie à travers les oeuvres innombrables de la culture.
Telle une mélodie secrète qui ne frappe pas toutes les oreilles, la peur pénètre le langage de toute
oeuvre d'art véritable, de toute philosophie intime, de toute action importante, et sans se révéler à
tous, elle fonde les grands problèmes de toute mathématique. Seul l'homme intérieurement mort des
grandes villes tardives, Babylone d'Hammourabi, Alexandrie des Ptolémées, Bagdad de l'Islam, Paris et
Berlin actuels, seul le sophiste, le sensualiste, le darwiniste purement intellectuels la perdent ou
la nient en situant entre eux et l'altérité une "conception scientifique" de l'univers sans mystère." (p 89)
"Au lieu d'un monde, une ville, un point où se rassemble toute la
vie de vastes territoires pendant que le reste dépérit ;
au lieu d'un peuple structuré grandi avec la terre, un nouveau nomade,
un parasite, l'habitant de la grande ville,
la masse pure sans tradition, fluctuante et informe, une masse d'hommes
matérialistes s'avance, irréligieux, intelligents, stériles,
avec une profonde hostilité envers la paysannerie (et sa forme la plus
haute, la noblesse rurale),
donc un pas monstrueux vers l'an-organique, vers la fin."
"Le grand tournant apparaît au moment précis où la pensée vulgaire
d'une population très civilisée trouve des "raisons"
pour l'existence des enfants. La nature ignore ces raisons. Partout où
il y a vie réelle règne une logique intérieure
organique, un impersonnel, un instinct, qui sont absolument indépendants
du nexus causal et ne sont même pas aperçus
par la vie. L'abondance des naissances chez les populations originelles
est un phénomène naturel dont personne ne
songe à fonder l'existence et, à plus forte raison, l'utilité ou
l'inconvénient. Là où l'on introduit des raisons
dans les questions vitales, la vie elle-même devient déjà un problème.
Là commence une savante restriction du nombre des naissances ..."
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Spengler a repris les thèses de Hegel en remplaçant l’action de l’Esprit par la haine de la ville :
- Chaque peuple a son principe propre et il tend vers lui comme s'il constituait la fin de son être :
une fois cette fin atteinte, il n’a plus rien à faire dans le monde. p. 86
- Chaque peuple fait des progrès en lui-même : il progresse et il décline.La catégorie qui s’impose
aussitôt est celle de la culture (Bildung), de l’excès de culture (Uberbildung) et de la perversion
de la culture (Verbildung) : ce dernier moment est pour le peuple à la fois le produit et la source de sa ruine. p. 87
- L’Esprit d’un peuple est un individu naturel : en tant que tel, il s’épanouit, se renforce, puis décline et meurt. p. 89
- Le devoir suprême, l’essence de l’Esprit, est de se connaître soi-même et de se réaliser. C’est ce qu’il accomplit dans
l’Histoire : il se produit sous certaines formes déterminées et ces formes sont les peuples historiques. Chacun de ces
peuples exprime une étape, désigne une époque de l’histoire universelle. p. 97
- C’est l’union de l’Universel existant en soi et pour soi et de l’Individuel et du subjectif qui constitue l’unique vérité.
P 110 (NB : on retrouve ici l'opposition Local/Global)
- C’est le moment où l’ordre existant est détruit parce qu’il a épuisé et complètement réalisé ses potentialités … p 120
Hegel, La Raison dans l’Histoire, UGE (1965) , traduction de Die Vernunft in der Geschichte, F Meyner Vlg, (1955)
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