Les distorsions du système électoral français

Le système électoral français est gravement déformé, depuis plus d'un siècle, afin de favoriser la France rurale et d'affaiblir les grandes agglomérations urbaines.

Cela est bien connu dans le cas du Sénat : les sénateurs sont élus au suffrage indirect à 97% par les conseillers municipaux et à 3% par les conseillers régionaux. Mais les conseillers municipaux ne représentent pas le même nombre d'électeurs : dans les plus petites communes (100-500 habitants), un conseiller en représente 23, dans les plus grandes, plus de 5 000. A Lyon, un conseiller est élu par 5 692 habitants, à Marseille par 7 926 et à Paris par 13 205 habitants. Ainsi, 42 % des sénateurs représentent 24 % de la population.

L'élection des députés à l'Assemblée Nationale subit aussi des déformations : certaines communes sont sous-représsentées, d'autres sur-représentées. Supposons que 10 députés doivent représenter 10 000 électeurs : chaque députés devrait en représenter 1 000. Si 200 suffisent à élire un député, ces électeurs sont sur-représentés et ont 5 fois plus de pouvoir que les autres. C'est ce que représente le graphique suivant :

Source : J-M Cotteret, C Emeri & P Lalumière (1960) Lois électorales et inégalités de représentation en France, 1936-1960 , A Colin, 420 p

Cette étude est dûe à un groupe de recherche dirigé par Maurice Duverger à Science Po. A gauche, les petites communes sont sur-représentées, à droite, les grandes sont sous-représentées. Le scrutin n'est honnête que lorsque les courbes intersectent la droite horizontale des abcisses : pour les communes d'environ 10 000 habitants. Aux extrémités, les inégalités sont très renforcées : le vote à l'Assemblée d'un paysan d'une petite commune vaut presque le double de celui d'un Parisien ou d'un Marseillais. Hormis les crochets aux extrémités, les courbes sont à peu près droites : les inégalités physiques (rivières, montagnes ,...) ne jouent aucun rôle. Les trois courbes correspondent aux années 1936 (La France sortait à peine de la Grande Dépression), 1946 (Juste après la Seconde Guerre Mondiale) et 1956 (à la sortie de la guerre d'Indochine et au début de la guerre d'Algérie). Ainsi, la France a connu pendant ces périodes des chocs extrêmement violents et des changements politiques radicaux, mais la déformation du système électoral est restée étonnamment stable.

Cette déformation peut donner lieu à des cas extrêmes : Balinski cite la 2° circonscription de Lozère, qui élit un député avec 34 374 h, alors que celui de la 2° du Val d'Oise représente 188 200 h. Ainsi, deux habitants de Lozère comptent autant que 11 habitants du Val d'Oise. Les banlieues des métropoles sont les grandes perdantes.

Source : Balinski M (2004) Le suffrage universel inachevé, Débats, Belin, 335 p