La condamnation de Paris par la droite chrétienne à la fin du XIX° siècle. Le journaliste Louis Veuillot, catholique passionné et directeur de journal, compare Paris, la grande ville moderne qu'il déteste, à Rome, la ville sainte :

« Véritablement, Paris est une inondation qui a submergé la civilisation française, et l'emporte toute entière en débris. Où l'emporte-t-il ainsi concassée ? Moi, je crois qu'il l'emporte à la Préfecture de Police ... (p VII)

"Ville sans passé, pleine d'esprits sans souvenirs, de coeurs sans larmes, d'âmes sans amour ! Ville des multitudes déracinées, mobile amas de poussière humaine, tu pourras t'agrandir et devenir la capitale du monde ; tu n'auras jamais de citoyens. Rousseau avait trouvé ce beau mot de désert d'hommes pour peindre Paris quand Paris, peuplé seulement de six à sept cent mille âmes, n'était qu'une ville de province divisée en une quantité de paroisses où tout le monde se connaissait." (p X)

Noter que Veuillot utilise déjà le concept du déracinement que Barrès développera considérablement.

« J'ai fait un livre intitulé Le parfum de Rome. Il m'a donné l'idée de ces Odeurs de Paris. Rome et Paris sont les deux têtes du monde, l'une spirituelle, l'autre charnelle. Pendant que le parfum de Rome s'exhalait de mon âme embrasée d'admiration, de reconnaissance et d'amour, les odeurs de Paris me poursuivaient, me persécutaient, m'insultaient. Je voyais l'impudence de l'orgueuil ignorant et triomphant, j'entendais le ricanement de la sottise, l'emportement plus stupide du blasphême, les odieux balbutiements de l'hypocrisie. Je méditais de mettre en présence la ville de l'esprit, qui va périr, et la ville chair, qui la tue. » (p XII)

« Si vous n'aviez rien à faire de vos soirées et que vous fussiez comme tant d'autres dans cette auberge de Paris, qui n'ont ni foyer, ni parents, ni oeuvre, ni pensée, une fois fermés la boutique et le bureau ; s'il vous fallait tuer tous les jours quelques heures pour ne pas périr d'ennui, alors quand vous auriez consommé six mois d'opéra, de comédie et de vaudeville, vous comprendriez mieux l'attrait de cet autre genre d'abrutissement [le café-concert] , car vous ne connaissez pas l'homme moderne si vous ignorez qu'atteint d'un incurable ennui, il a besoin, vraiment besoin, de s'abrutir. [...] La vie est organisée pour cela, on a l'uniformité en tout et l'on travaille à la perfectionner sans cesse. [...] Quant aux femmes [les chanteuses des caf'conc], ... elles sont laides, de cette laideur particulière qu'on appelle la gentillesse parisienne... Elles ont l'agaçante voix, le glapissement déchiré des filles de portière, qui semblent s'être gargarisées de l'eau du ruisseau. [...] Mais ce qui touche à l'épouvantable, c'est l'objet même que l'on emploie pour attirer la foule, c'est la femme nue. Je ne parle pas de l'horreur de l'âme devant cette prostitution, je parle de la simple horreur de l'oeil. Le spectacle est plus affreux que malhonnête. Les ramassées que l'on y produit ne se contentent pas d'être laides de visage, la plupart jusqu'à l'abjection; elles sont par dessus le marché généralement et diversement fort mal bâties : des cagneuses, des mafflues, des pansues, des voûtées, des osseuses, impudentes et gauches, ne sachant ni marcher ni se tenir. O effroyables déformations de la grue déplumée ! O grouillement abominable d'où s'échappent des odeurs de soupente ! » (p 134-135)

Source : Louis Veuillot (1867) Les odeurs de Paris